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François Malherbe (1555-1625)

[Consolation à M. Du Périer...|Ode à la reine...]

Consolation à Monsieur Du Perier
Gentilhomme d'Aix en Provence
Sur la mort de sa fille

Ta douleur, Du Perier, sera donc eternelle,
        Et les tristes discours
Que te met en l'esprit l'amitié paternelle
        L'augmenteront tousjours!

Le malheur de ta fille au tombeau descenduë
        Par un commun trespas,
Est-ce quelque dedale où ta raison perduë
        Ne se retreuve pas?

Je sçay de quels appas son enfance estoit pleine,
        Et n'ay pas entrepris,
Injurieux ami, de soulager ta peine
        Avecque son mespris.

Mais elle estoit du monde, où les plus belles choses
        Ont le pire destin,
Et rose elle a vescu ce que vivent les roses,
        L'espace d'un matin.

Puis quand ainsi seroit, que selon ta priere,
        Elle auroit obtenu
D'avoir en cheveux blancs terminé sa carriere,
        Qu'en fust-il advenu?

Penses-tu que, plus vieille, en la maison celeste
        Elle eust eu plus d'accueil?
Ou qu'elle eust moins senti la poussiere funeste
        Et les vers du cercueil?

Non, non, mon Du Périer, aussi-tost que la Parque
        Oste l'ame du corps,
L'âge s'évanoüit au deça de la barque,
        Et ne suit point les morts.

Tithon n'a plus les ans que le firent cigale,
        Et Pluton aujourd'huy,
Sans égard du passé, les merites égale
        D'Archemore et de luy.

Ne te lasse donc plus d'inutiles complaintes,
        Mais sage à l'advenir,
Aime une ombre comme ombre, et de cendres esteintes
        Esteins le souvenir.

C'est bien, je le confesse, une juste coustume,
        Que le cœur affligé,
Par le canal des yeux vuidant son amertume,
        Cherche d'estre allegé.

Mesme, quand il advient que la tombe separe
        Ce que nature a joint,
Celuy qui ne s'esmeut a l'ame d'un barbare,
        Ou n'en a du tout point.

Mais d'estre inconsolable, et dedans sa memoire
        Enfermer un ennuy,
N'est-ce pas se hayr pour acquerir la gloire
        De bien aimer autruy ?

Priam, qui vit ses fils abbatus par Achille,
        Desnué de support,
Et hors de tout espoir du salut de sa ville,
        Receut du reconfort.

François, quand la Castille, inégale à ses armes,
        Luy vola son Dauphin,
Sembla d'un si grand coup devoir jetter des larmes
        Qui n'eussent point de fin.

Il les secha pourtant, et comme un autre Alcide
        Contre fortune instruict,
Fit qu'à ses ennemis d'un acte si perfide
        La honte fut le fruict.

Leur camp, qui la Durance avoit presque tarie
        De bataillons espais,
Entendant sa constance eut peur de sa furie,
        Et demanda la paix.

De moy, desja deux fois d'une pareille foudre
        Je me suis vu perclus,
Et deux fois la raison m'a si bien fait resoudre
        Qu'il ne m'en souvient plus.

Non qu'il ne me soit grief que la tombe possede
        Ce qui me fut si cher;
Mais en un accident qui n'a point de remede,
        II n'en faut point chercher.

La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles:
        On a beau la prier,
La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles,
        Et nous laisse crier.

Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre,
        Est sujet à ses loix,
Et la garde qui veille aux barrieres du Louvre
        N'en défend point nos rois.

De murmurer contr'elle et perdre patience,
        II est mal à propos:
Vouloir ce que Dieu veut est la seule science
        Qui nous met en repos.

A la Reine

Sur sa bien-venue en France

Ode
présentée à Sa Majesté à Aix, 1600

Peuples, qu'on mette sur la teste
Tout ce que la terre a de fleurs;
Peuples, que cette belle feste
A jamais tarisse nos pleurs;
Qu'aux deux bous du monde se voye
Luire le feu de nostre joye;
Et soient dans les coupes noyez
Les soucis de tous ces orages,
Que pour nos rebelles courages
Les dieux nous avoient envoyez.

A ce coup iront en fumee
Les vœux que faisoient nos mutins,
En leur ame encor affamee
De massacres et de butins.
Nos doutes seront esclaircies,
Et mentiront les propheties
De tous ces visages pallis,
Dont le vain estude s'applique
A chercher l'an climaterique
De l'eternelle Fleur de lys.

Aujourd'huy nous est amenee
Cette princesse que la foy
D'Amour ensemble et d'Hyménee
Destine au lict de nostre Roy.
La voicy, la belle Marie,
Belle merveille d'Hetrurie,
Qui faict confesser au soleil,
Quoy que l'âge passé raconte,
Que du ciel, depuis qu'il y monte,
Ne vint jamais rien de pareil.

Telle n'est point la Cytheree,
Quand, d'un nouveau feu s'allumant,
Elle sort pompeuse et paree
Pour la conqueste d'un amant:
Telle ne luit en sa carriere
Des mois l'inegale courriere;
Et telle dessus l'orizon
L'Aurore au matin ne s'estale,
Quand les yeux mesmes de Cefale
En feroient la comparaison.

Le sceptre que porte sa race,
Où l'heur aux mérites est joint,
Luy met le respect en la face,
Mais il ne l'enorgueillit point.
Nulle vanité ne la touche;
Les Graces parlent par sa bouche;
Et son front, tesmoin asseuré
Qu'au vice elle est inaccessible,
Ne peut que d'un cœur insensible
Estre veu sans estre adoré.

Quantesfois, lorsque sur les ondes
Ce nouveau miracle flottoit,
Neptune, en ses caves profondes,
Plaignit-il le feu qu'il sentoit!
Et quantesfois en sa pensee,
De vives atteintes blessee,
Sans l'honneur de la royauté,
Qui luy fit celer son martyre,
Eust-il voulu de son empire
Faire eschange à ceste beaute!

Dix jours, ne pouvant se distraire
Du plaisir de la regarder,
Il a par un effort contraire
Essayé de la retarder:
Mais à la fin, soit que l'audace
Au meilleur advis ait fait place,
Soit qu'un autre demon plus fort
Aux vents ait imposé silence,
Elle est hors de sa violence,
Et la voicy dans nostre port.

La voicy, peuples, qui nous montre
Tout ce que la gloire a de pris;
Les fleurs naissent à sa rencontre
Dans les cœurs et dans les esprits;
Et la presence des merveilles
Qu'en oyoient dire nos oreilles,
Accuse la temerité
De ceux qui nous l'avoient décrite,
D'avoir figuré son merite
Moindre que n'est la verité.

O toute parfaite princesse,
L'etonnement de l'univers,
Astre par qui vont avoir cesse
Nos tenebres et nos hyvers;
Exemple sans autres exemples,
Future image de nos temples,
Quoy que nostre foible pouvoir
En vostre accueil ose entreprendre,
Peut-il esperer de vous rendre
Ce que nous vous allons devoir?

Ce sera vous qui de nos villes
Ferez la beauté refleurir,
Vous, qui de nos haines civiles
Ferez la racine mourir;
Et par vous la paix asseuree
N'aura pas la courte duree
Qu'esperent infidellement,
Non lassez de nostre souffrance,
Ces François qui n'ont de la France
Que la langue et l'habillement.

Par vous un Dauphin nous va naistre,
Que vous-mesme verrez un jour
De la terre entiere le maistre
Ou par armes ou par amour
Et ne tarderont ses conquestes,
Dans les oracles desja prestes,
Qu'autant que le premier coton,
Qui de jeunesse est le message,
Tardera d'estre en son visage
Et de faire ombre à son menton.

O combien lors aura de veuves
La gent qui porte le turban!
Que de sang rougira les fleuves
Qui lavent les pieds du Liban!
Que le Bosfore en ses deux rives
Aura de sultanes captives!
Et que de meres à Memfis,
En pleurant diront la vaillance
De son courage et de sa lance
Aux funerailles de leurs fils!

Cependant nostre grand Alcide,
Amolly parmi vos appas,
Perdra la fureur qui sans bride
L'emporte à chercher le trespas;
Et ceste valeur indontee
De qui l'honneur est l'Euristee,
Puis que rien n'a sceu l'obliger
A ne nous donner plus d'alarmes,
Au moins pour espargner vos larmes,
Aura peur de nous affliger.

Si l'espoir qu'aux bouches des hommes
Nos beaux faits seront recitez
Est l'aiguillon par qui nous sommes
Dans les hazards precipitez,
Luy de qui la gloire, semee
Par les voix de la Renommee
En tant de parts s'est fait ouyr,
Que tout le siecle en est un livre,
N'est-il pas indigne de vivre
S'il ne vit pour se resjouyr?

Qu'il luy suffise que l'Espagne,
Reduitte par tant de combas
A ne l'oser voir en campagne,
A mis l'ire et les armes bas;
Qu'il ne provoque point l'envie
Du mauvais sort contre sa vie,
Et puisque selon son dessein
Il a rendu nos troubles calmes.
S'il veut d'avantage de palmes,
Qu'il les aquere en vostre sein.

C'est là qu'il faut qu'à son Genie,
Seul arbitre de ses plaisirs;
Quoy qu'il demande, il ne denie
Rien qu'imaginent ses desirs;
C'est là qu'il faut que les annees
Luy coulent comme des journees,
Et qu'il ait dequoy se vanter
Que la douceur qui tout excede
N'est point ce que sert Ganimede
A la table de Jupiter.

Mais d'aller plus a ces batailles
Où tonnent les foudres d'enfer,
Et lutter contre des murailles
D'où pleuvent la flamme et le fer,
Puis qu'il sçait qu'en ses destinees
Les nostres seront terminees,
Et qu'aprés luy nostre discord
N'aura plus qui domte sa rage,
N'est-ce pas nous rendre au naufrage.
Aprés nous avoir mis à bord?

Cét Achile de qui la pique
Faisoit aux braves d'Ilion
La terreur que fait en Afrique
Aux troupeaux l'assaut d'un lyon,
Bien que sa mere eust à ses armes
Adjousté la force des charmes,
Quand les destins l'eurent permis,
N'eut-il pas sa trame coupee
De la moins redoutable espee
Qui fust parmy ses ennemis?

Les Parques d'une mesme soye
Ne devident pas tous nos jours,
N'y tousjours par semblable voye
Ne font les planettes leurs cours;
Quoy que promette la Fortune,
A la fin, quand on l'importune.
Ce qu'elle avoit fait prosperer
Tombe du feste au precipice;
Et pour l'avoir tousjours propice,
Il la faut tousjours reverer.

Je sçay bien que sa Carmagnole
Devant luy se representant,
Telle qu'une plaintive idole,
Va son courroux sollicitante,
Et l'invite a prendre pour elle
Une legitime querelle;
Mais doit-il vouloir que pour luy
Nous ayons tous jours le teint blesme,
Cependant qu'il tente luy-mesme
Ce qu'il peut faire par autruy?

Si vos yeux sont toute sa braise,
Et vous la fin de tous ses vœux,
Peut-il pas languir à son aise
En la prison de vos cheveux;
Et commettre aux dures corvees
Toutes ces ames relevees
Que d'un conseil ambitieux
La faim de gloire persuade
D'aller sur les pas d'Encelade
Porter des escheles aux cieux?

Apollon n'a point de mistere
Et sont profanes ses chansons,
Ou, devant que le Sagitere
Deux fois ramene les glaçons,
Le succez de leurs entreprises,
De qui deux provinces conquises
Ont desja fait preuve à leur dan,
Favorisé de la victoire,
Changera la fable en histoire
De Phaëton en l'Eridan.

Nice, payant avecques honte
Un siege autrefois repoussé,
Cessera de nous mettre en conte
Barberousse qu'elle a chassé;
Guise en ses murailles forcees
Remettra les bornes passees
Qu'avoit nostre empire marin;
Et Soissons, fatal aux superbes,
Fera chercher parmi les herbes
En quelle place fut Turin.


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