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Pierre Le Moyne (1602-1671?)

L'hiver burlesque

Stances

A M. le Président Bailleul, surintendant des Finances.

Le grand hiver, Bailleul, est venu de Norvège.
Tout courbé de glaçons et tout chenu de neige.
D'abord qu'il a paru le soleil a tremblé,
La lune s'est munie et de cape et de masque,
D'une peau d'ours Saturne a son dos affublé,
Et d'un double bonnet Mars a fourré son casque.

Ils ont, certes, raison ces courriers iumineux,
De prendre leurs gabans et leurs manteaux sur eux,
Ayant à faire au froid un si rude voyage.
Encor le ciel est-il émaillé de verglas,
Et, si de bien glisser ils n'ont appris l'usage,
A peine sans tomber feront-ils quatre pus.

Le nectar est gelé dans la céleste coupe,
L'échanson qui le sert à la divine troupe,
D'une peluche double arme ses cheveux blonds:
Les Gémeaux qui vont nus sont malades de rhume,
Et Mercure aurait pris les mules aux talons
S'il n'avait les talons environnés de plumes.

Les dieux qui sont venus habiter parmi nous,
Quelques humains qu'ils soient n'ont pas le temps plus doux,
Ni ne sont respectés plus que nous de l'orage;
La vérité ne peut en sauver son flambeau,
Thémis, pour un manchon a mis son glaive en gage,
Et s'est fait une coiffe avecque son bandeau.

La fortune a les pieds gelés dessus la boule,
Le cristal, par le nez, goutte à goutte, lui coule,
Tout son jeu maintenant est de souffler ses doigts.
Les muses ont quitté l'étude et les écoles,
Et, pour les réchauffer, à faute d'autre bois,
Apollon fait grand feu de luth et de violes.

L'ample et liquide cours de Bacchus est gelé,
Ses nymphes ont le sang dans leur boîte collé,
Le grand buveur Silène au ciel en fait querelle,
Leurs bateaux prisonniers ne peuvent plus courir;
Et, quoique i'eau leur soit une poison mortelle,
Si l'eau ne les délivre elles s'en vont mourir.

Les troupeaux écaillés, que nourrissait ia Seine
Des roseaux renaissants de sa roulante plaine,
Sont dans de grands glaçons, comme en pâte, enchâssés,
Les fleuves morfondus se sont cachés sous terre;
Et dans leurs pots d'azur que le froid a cassés
Ce qui fut eau devant maintenant est de verre.

La merveille est, Baiiieul, qu'en ce temps de rigueur,
Chez toi malgré le temps les Grâces sont en fleur,
Et jamais des bienfaits la source ne se gèle.
Ce miracle est célèbre et bien digne de toi,
La preuve en est publique, et moi qui suis fidèle
Sans voir et sans toucher j'en veux avoir la foi.


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